Généralités : Parmi les représentants d’ascomycètes étudiés cette année 2010 j’ai retenu le caractère très curieux de certains qui étaient, il y a encore peu de temps, tous regroupés dans la famille des « Clavicipitacées »
Toutes les espèces de cette « famille » sont des parasites (soit de plantes, soit d’insectes, soit de champignons) et sont de curieux organismes au sein du règne fongique.
Historiquement les Cordyceps étaient classés dans les « Clavicipitacées ». Cependant les recherches plus récentes de biologie moléculaire ont entraîné des modifications dans la classification phylogénétique de cette « famille » considérée aujourd’hui comme non monophylétique.
Elles conduisent à retenir trois clades* (et donc ici trois familles phylogénétiquement différenciées selon G.H. Sung, J.M. Sung, Hywel-Jones et J.W. Spatafora ) :
- les
Clavicipitacées sensu stricto concerne le clade des parasites des Graminées
- les
Cordycipitacées : clade incluant les espèces à stroma charnu et brillamment coloré (ex. Cordyceps militaris)
- les
Ophiocordycipitacées est le 3ème clade avec deux genres :
*
Elaphocordyceps : genre renfermant toutes les espèces parasitant les champignons du genre Elaphomyces. Ainsi Cordyceps capitata = Elaphocordyceps capitata (Holmsk.) G.H Sung, J.M.Sung &Spatafora
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Ophiocordyceps : genre concernant de nombreux parasites d’insectes et caractérisé par des stromas de couleur sombre Ainsi Cordyceps sphecocephala = Ophiocordyceps sphecocephala (Klotzsch & Berk.) G.H.Sung, J.M.Sung, Hywel-Jones & Spatafora
Leur ascome (ou appareil fructifère) complexe est caractérisé par des périthèces inclus dans un stroma coloré ou sombre dont la surface est ponctuée par les ostioles de ces mêmes périthèces. L’ascome est pédicellé chez les Claviceps et les Cordyceps, en manchon sur tige de Graminées chez les Epichloe.
Leurs ascospores disposées en faisceau dans les asques sont filiformes et présentent une tendance à se désarticuler chez les Cordyceps. Les asques assez longs, étroits, à paroi mince possèdent un épaissis-sement apical parcouru par un canal très fin.
Certains membres de cette famille produisent des alcaloïdes toxiques pour l’homme et les animaux ; le membre le plus connu et tristement célèbre est le Claviceps purpurea. Toutefois d’autres comme le Cordyceps sinensis est hautement apprécié dans la médecine traditionnelle chinoise. En effet il est utilisé contre la fatigue, pour stimuler le système immunitaire, stimuler la sexualité (c’est le fameux yarshagumba ou viagra de l’Himalaya), pour ralentir le vieillissement….
Parmi les anamorphes (formes asexuées de ces champignons) les genres Beauveria et Metarhizium sont largement utilisés dans le cadre de la lutte biologique pour contrôler la prolifération de certains insectes. L’anamorphe de Cordyceps subsessilis (Tolypodium inflatum) est la source de cyclosporine puissant immunosupresseur utilisé pour éviter le rejet des greffes. Enfin on attribue à la cordycépine, substance fournie par plusieurs espèces de Cordyceps, une action anticancéreuse.
A des fins d’illustration j’ai choisi les 6 espèces suivantes susceptibles d’être observées en France et dans notre région. J’ai volontairement gardé les noms de genre antérieurement connus et ce en cohérence avec la bibliographie mentionnée dans l’article.
- parmi les parasites des plantes : Claviceps purpurea et Epichloe typhina
- parmi les parasites des insectes : Cordyceps militaris et Cordyceps sphecocephala
- parmi les parasites des champignons : Cordyceps capitata et Cordyceps ophioglossoides
Place des espèces décrites dans la classification actuelle des
ASCOMYCOTA- Règne :
Fungi- Division ou Embranchement :
Ascomycota- Subdivision ou Sous embranchement :
Pezizomycotina- Classe :
Sordariomycètes- Ordre :
Hypocréales- Familles : Clavicipitacées, Cordycipitacées, Ophiocordycipitacées
Les espèces du genre Cordyceps sont, pour certaines, délicates à déterminer et il faudrait, selon C. Lechat, impérativement déterminer l’hôte, connaître son stade asexué (d’où nécessité d’une culture in vitro) et enfin en séquencer l’ADN. (cf. les travaux du spécialiste actuel du genre Cordyceps : J.W.Spatafora)
Les espèces tropicales de Cordyceps, d’apparence étrange, sont beaucoup plus nombreuses que sous nos latitudes.
Espèces parasitant les Graminées •
Claviceps purpurea (Fr.) Tulasne L’ergot du seigle.
La forme sexuée se présente comme un stroma capité, longuement stipité et fixé sur un sclérote noir elliptique arqué. Le stroma sphérique (2 à 3 mm de diamètre) brun jaune ou rose violeté renferme des périthèces à ostiole proéminent.
Cette espèce parasite beaucoup de graminées sauvages et cultivées et contamine ces dernières au printemps par l’intermédiaire des ascospores qui germent en émettant un filament mycélien qui s’insinue dans les jeunes fleurs en détruisant les tissus ovariens. Les épis attaqués présentent courant Juillet des masses stromatiques noires de forme arquée ou sclérotes. Ils remplacent les grains dont le développement a été empêché. L’ergot (autre nom donné au sclérote parce que saillant à la manière de l’ergot d’un coq) finit par tomber au sol et constitue la forme de résistance pour le passage de l’hiver. Il ne germera qu’au printemps suivant en produisant la forme sexuée (à périthèces).
L’espèce a une large répartition en Europe, même si la forme sexuée est rarement récoltée. L’année 2010 semble avoir été propice à sa venue si j’en juge les récoltes effectuées par des collègues en Charente maritime, dans le Morvan et dans la Manche (Dans cette dernière région c’est sur une graminée des vases salées (la Spartine) qu’un Claviceps du groupe purpurea a été observé.
L’ergot du seigle a été pendant les périodes de disette (notamment au Moyen âge) tristement célèbre du fait de sa toxicité. Cette dernière a été attribuée (bien plus tard) à divers alcaloïdes dont le constituant de base est l’acide lysergique. Le syndrome d’ergotisme était alors connu sous les noms évocateurs de « mal des ardents », « feu sacré », « feu St Antoine », «feu St Martial » ou encore « gangrène des Solognots ».
En thérapeutique humaine on peut mentionner l’usage qui a été fait des alcaloïdes du Claviceps en gynécologie et en obstétrique et comme vasoconstricteurs énergiques. De nos jours la production industrielle se fait dans des fermenteurs de grande capacité en présence de substrats purs et spécifiques des exigences nutritionnelles du Claviceps purpurea.
Faisant saillie sur les épis contaminés de diverses graminées cultivées et sauvages les sclérotes (ou ergots) constituent la forme de résistance du champignon Claviceps purpurea.
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Epichloe typhina (Pers. : Fr.) Tulasne La quenouille des Graminées
Cette espèce des chaumes de graminées pérennes des régions tempérées est assez commune (je la retrouve chaque année (dans le secteur de Bellac) courant juin sur chaume de Dactyle aggloméré.
L’ascome se présente sous forme de fructification complexe constituée de très nombreux périthèces alignés et inclus dans un stroma formant manchon tout au long des gaines de diverses graminées vivantes. A l’état jeune (forme conidiale) le stroma est lisse blanchâtre puis devient jaune pâle et enfin jaune doré lors de l’apparition des périthèces (forme sexuée) donnant à la surface un aspect granulo-rugueux. Chaque périthèce possède un diamètre de l’ordre de 0,2 à 0,3 mm et leur sommet devient orangé lorsqu’ils sont matures.
Le développement du parasite bloque la formation de l’inflorescence et de ce fait la graminée parasitée est stérile.
Par son aspect, son écologie, sa couleur, la forme des spores, cette espèce est facilement identifiable.
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Espèces parasitant des insectes*
Cordyceps militaris (L. : Fr.) Link Cordyceps militaire
Sa couleur corail ne peut qu’attirer l’attention et de surcroît ce n’est pas le plus rare du genre. Les individus peuvent atteindre 5 cm de haut pour un diamètre de 3 à 10 mm. L’ascome est constitué d’une tête fertile cylindrique clavée à surface ruguleuse (chaque granule rouge cinabre est un périthèce partiellement immergé) et d’un pied stérile, lisse, pâle chiné d’orange vif. In situ il est recommandé de bien dégager la base du pied pour mettre en évidence l’hôte parasite enterré (Il s’agit de larve ou de chrysalide de Lépidoptères. Sur le terrain on l’observe d’Août à Novembre.
En quoi consiste ce parasitisme ? Les spores germent sur les chenilles vivantes avant que ces dernières ne pénètrent dans le sol pour s’y métamorphoser en chrysalide. Les chenilles nourriciè-res finissent par mourir et sont momifiées. Les filaments mycéliens du champignon s’organisent alors en sclérote d’où naissent les ascomes en automne. On notera que la fragmentation des ascospores en spores secondaires permet une plus grande dissémination de l’espèce
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Cordyceps sphecocephala (Klotzsch) Berkeley & Curtis
La forme sexuée de ce spectaculaire parasite entomophage est constituée d’un stroma capité à l’extrémité d’un long pied flexueux (d’autant plus long que l’hôte est enterré). La tête jaune-crème, subglobuleuse à ovale (3-5 x 2-3 mm) est ponctuée de tâches plus sombres par les ostioles des périthèces immergés dans le stroma. Le pied est pourvu d’une collerette plus ou moins déchirée sous l’insertion de la tête. Il prend naissance à la hauteur du premier article thoracique de l’insecte parasité. Les modalités du parasitisme sont similaires à celles de Cordyceps militaris. Germination d’une spore stimulée qui pénètre la larve vivante, propagation du mycélium dans tous les organes du corps (sauf les téguments). L’insecte finit par mourir ainsi momifié. Le sclérote qui est la forme de résistance du champignon peut alors fructifier si les conditions sont favorables. On voit alors émerger du corps de l’hôte le pédicelle surmonté de sa tête fertile.
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Remarque : Bien d’autres espèces peuvent être observées en France comme
Cordyceps entomorhiza (Dicks. : Fr.) Link sur larves de Carabes ;
Cordyceps gracilis (Grev.) Mont. & Dur. sur chenilles de papillons ;
Cordyceps larvicola Quélet à capitule rose lilacin, trouvé sur larves de Coléoptères ;
Cordyceps superficialis (Peck) Sacc. trouvé cette année par G. Girod dans le Cantal sur larve de Staphylin. Cette découverte pourrait constituer une première en France. Elle a été déterminée par J. Mornand.
Vous pourrez trouver des illustrations de ces espèces sur le site de Mycodb que je vous recommande vivement.
Espèces parasitant des champignons*
Cordyceps capitata (Holmsk : Fr.) Link Cordyceps en tête
Du fait de sa relative rareté qu’elle n’est pas notre surprise de croiser cet étonnant « périscope » émergeant du sol forestier. L’ascome peut en effet atteindre 9 à 10 cm de haut et apparaît constitué d’une tête fertile plus ou moins ovoïde, brun jaune, brun olivacé, finement ponctuée de minuscules pustules correspondant aux ostioles des périthèces et d’un pied cylindrique, flexueux, lisse qui s’insinue directement sur l’hôte (en l’occurrence une fausse truffe appartenant au genre
Elaphomyces).
Cette espèce d’apparence terricole est en fait un parasite qui se développe sur un champignon hypogé. Il convient donc avant de l’arracher de prendre soin de dégager l’humus jusqu’à l’hôte hypogé. Sans intérêt sur le plan culinaire, cette espèce est intéressante pour sa biologie et sa fréquence limitée. On peut la rencontrer sur le terrain de fin Août à début Novembre.
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Cordyceps ophioglossoides (Ehrenb. : Fr.) Link Cordyceps faux ophioglosse est considéré comme plus répandu que C. capitata. Il est cependant rare dans notre région. Ici les périthèces sont rassemblés au niveau d’une clavule allongée jaune olive puis noirâtre ponctuée ruguleuse par les ostioles proéminents. Le pied grêle jaunâtre brunâtre est garni à la base de rhizomorphes jaune entourant l’Elaphomyces parasité. Il s’observe de Juillet à Novembre.
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Remerciements : Ils vont très naturellement à ceux qui m’ont fourni des échantillons d’espèces peu communes. En tout premier lieu à mon ami J.P. Dechaume un inlassable fournisseur et homme de terrain hors pair sur ses terres du Morvan (71) qui m’a procuré les formes sexuée ( provenant du Cantal) et asexuée du Claviceps purpurea. A G. Girod un détecteur affuté dans son secteur d’Alleuze (15) qui m’a gentiment expédié C. sphecocephala et C. superficialis. Enfin à M. Simon notre précieuse correspondante creusoise qui avec sa perspicacité bien connue a su dénicher C. capitata.
Ils vont aussi à M. Hairaud qui a gentiment permis que je puisse présenter son cliché de Cordyceps ophioglossoides et le détail de la tête de la forme sexuée de Claviceps purpurea.
Bibliographie (non exhaustive) et
Glossaire Bulletin de la fédération mycologique de Dauphiné-Savoie n° 193 Avril 1994 Article de J.Mornand p. 36-38
- Les champignons : Mycologie fondamentale et appliquée de P. Bouchet, J.L. Guignard, Y.F. Pouchus ; J. Villard aux éditions Masson pp77-78 et 177-178 (2eme édition)
- Champignons de Suisse Tome 1 p. 248-253
- Ascomiceti d’Italia de G.Medardi P.317-319
- Encyclopédie analytique des champignons de J. Montaigut Tome 1 p. 49,56,58.
- Photoguide des champignons d’Europe de R. Courtecuisse p. 268
- Sur le web plusieurs sites peuvent être consultés. Il suffit même de taper Champignons parasites pour obtenir une série de sites. On retiendra ici les sites d’Ascofrance, de Mycodb et les Cordyceps de Belgique (Liste des hôtes de Cordyceps d’après D. Ghyselinck ainsi qu’une clé sur les caractères macroscopiques.)
- Clade : désigne un taxon monophylétique c'est-à-dire contenant un ancêtre et tous ses descendants