L'intérêt de la pézize turquoise est pour moi la coloration qu'elle donne au bois, motivation initiale de mes recherches et raison de mes publications sur ce site (d'autres seront peut-être intéressés à leur tour par cette utilisation, et le peu d'informations disponibles étant éparpillé sur le tout Internet et succint dans la littérature imprimée...). Je ne distinguerai pas ici les différentes espèces du genre Chlorociboria, seule la xylindine qu'ils produisent m'intéresse :)
Le bois coloré par ce champignon a été utilisé au moins dès le 15e siècle en marquetterie. La xylindine, pigment sécrété par Chlorociboria, est totalement stable à la lumière. En revanche, en milieu basique, les rayons ultraviolets la détruisent (
extrait de l'article). Ce pigment est également sensible à la chaleur et il faut prendre garde à ne pas surchauffer le bois lors de son débit ou du ponçage. La température à laquelle la xylindine est détruite n'a apparemment jamais été déterminée à ce jour, je posterai un article détaillé à ce sujet dès que j'aurai le temps de faire cette mesure.
La pézize turquoise est un colonisateur secondaire, survenant après celle par une pourriture blanche (d'après une étude menée par
Sara Robinson, docteur ès biologie forestière, université de Toronto, Canada,
un de ses articles).
Malgré ses nombreuses tentatives, S. Robinson n'est pas parvenue à cultiver Chlorociboria avec un bon degré de répétabilité. Dans la mesure où d'autres champignons modifiant la coloration du bois existent, elle est passée à autre chose depuis. J'ai donc décidé de reprendre le flambeau et mettre à profit mes connaissances (résiduelles!) en biologie et une partie de mon temps libre pour tenter de déterminer plus précisément les conditions naturelles de son développement, dans le but avoué de le cultiver pour pouvoir ensuite l'utiliser afin de teinter du bois destiné à la marquetterie: les nuances de coloration sont incomparablement plus belles que l'uniformité donnée par une coloration artificielle. En outre, il arrive aussi (à un stade précoce toujours) que la diffusion de la xylindine soit partielle, bordée par les lignes de mélatonine formées dans le bois lors de la rencontre de deux colonisateurs antagonistes: vraiment du plus bel effet (brut, puis poncé au grain 600)
(en bas à gauche, un morceau de sumac, et à droite, la huitième merveille du monde)
Lors de mes expéditions en forêt (voir la liste des récoltes sur la
fiche de Chlorociboria) j'ai constaté, dans ma zone de recherche en tous cas, que la pézize turquoise se développe sur l'arbre alors qu'il est encore debout, à environ 1 m du niveau du sol. Comme l'a relevé S.Robinson lors de son étude, l'hôte doit avoir été infesté par un basidiomycète au préalable, et dans le cas des spécimens que j'ai trouvés, les candidats à la colonisation préalable sont au moins deux: Trametes versicolor, et Fomes fomentarius (une sacrée peau de vache qui bouffe le bois en un rien de temps, mais qui forme de magnifiques corps fructifiants très décoratifs une fois bien secs). Je prévois de mener une étude exhaustive
in situ lors de ma prochaine expédition courant Juillet 2011, comprenant un échantillonnage complet des colonisateurs présents dans l'arbre infesté en fonction de la position verticale, afin de tenter d'établir la chronologie des faits.
Voici ma "recette" personnelle, dans le cas où on recherche une zone d'infestation, et non le corps fructifiant:
- se concentrer sur des arbres morts encore debout (ceux tombés sont en général bien bouffés mais on peut quand même récupérer des fragments utilisables). Des feuillus, principalement le bouleau et surtout le hêtre (majorité de mes récoltes).
- écorcer le tronc à environ un mètre du sol, du côté orienté au Nord (la pézize turquoise se développe à l'obscurité) et observer attentivement toute zone légèrement en creux survenue directement sous l'écorce, qui doit venir facilement
- si une tâche brun-verdâtre foncé apparait, gratter légèrement en surface; si la teinte devient vert franc, bingo, il s'agit d'une colonisation précoce de Chlorociboria, et le fragment de bois est suffisamment résistant pour être utilisé en ébénisterie (eh, l'arbre tient encore debout!):
Il est préférable de réduire le fragment de bois à chaque extrémité par sciages successifs de tranches de 1 cm afin de conserver le maximum de la zone teintée. On peut aussi le débiter en plaquettes à la scie à ruban, mais prendre garde à la dégradation irréversible de la xylindine si la température de la lame augmente (frottements). Comme signalé en début d'article, la température exacte de dégradation de la xylindine n'a pas encore été établie, et fera l'objet d'un article ultérieur.
Il est également possible de prolonger l'action de Chlorociboria dans l'échantillon trouvé en imprégnant d'eau le spécimen et en le conservant à l'abri de la lumière mais avec de l'air (c'est un champignon aérobie). J'ai pu doubler la saturation en xylindine d'un fragment récupéré, dont la moitié avait été séchée immédiatement et l'autre moitié immergée et conservée à l'abri de la lumière pendant plusieurs mois.
Concernant le séchage, justement, il est évidemment préférable de récolter ses spécimens par temps sec. Lors du séchage, qui doit être lent, le bois va immanquablement se fendre. Il vaut mieux éviter le séchage directement sur le radiateur... Un ventilateur posé dans un coin de l'atelier, directement vers la pile de bois, fait bien mieux l'affaire. Si le bois est humide, il est bon de commencer par le faire sécher au soleil en le tournant une fois par jour (des moisissures se développeraient sinon: pas bon!).
Au passage, les veinages parfois fabuleux du bois infesté par les colonisateurs primaires valent au moins autant le détour que lorsque le bois est teinté par Chlorociboria:
Il est parfaitement possible d'utiliser ce bois partiellement dégradé en placage ou bien pour réaliser des panneaux flottants en ébénisterie. Ceux qui n'ont jamais entendu nos compères anglophones parler de "spalted wood" trouveront sur
ce lien d'autres images, de quoi se convaincre des merveilles que Dame Nature fait en douce lors du processus de pourriture du bois. Le tout étant d'arriver avant que la lignine ne soit totalement détruite!
Une fois le bois totalement sec (6% d'humidité), on peut le travailler. Il n'y a pas plus de risques avec les champignons présents dedans qu'avec la sciure qui flotte dans l'air d'un atelier, mais il est évidemment préférable d'avoir une aspiration permanente des sciures et un filtrage efficace de l'air, ou à défaut, une protection respiratoire de qualité! Il est déconseillé aux personnes immunodéprimées de travailler avec du bois infesté par des champignons, par principe de précaution.